La fête des battages
Temps fort de la vie dans nos campagnes, les battages rassemblaient autrefois, autour de la « machine », et de copieux repas, toute la communauté villageoise. Moment d’entraide, de fraternité, de convivialité, mais aussi de travail intense, dans la poussière et la chaleur de l’été. Toute une époque et toute une manière de vivre et de travailler, que le progrès technique des années soixante, allait définitivement condamner…
A Cravans on a pas oublié ce passé et chaque année, début septembre, M. Denis GUILLOT et son épouse Jacqueline, entourés de leurs amis et « connaissances » perpétuaient avec bonheur cette tradition rurale en organisant une fête des battages, où chacun pouvait aussi découvrir sa remarquable collection de vieux tracteurs constituée au fil des ans.
Une journée de batteuse (Récit de Michel Fauvin)
Tel un cirque ambulant l’entreprise traversait la campagne avec sa caravane. Le tracteur pétaradant amenait batteuse, presse, remorque chargée de tuyaux à balles et enfin la cuve à fuel pour alimenter la tracteur. On utilisait alors du matériel de la S.F ( Société Française) de Vierzon. Les tracteurs étaient verts, la batteuse d’un vieux rouge et la presse avait une couleur tirant sur le galvanisé. L’installation dans la cour de la ferme se faisait souvent la veille. Cela durait près d’une heure. La cour de ferme pas toujours uniforme nécessitait une mise de niveau avec des crics à batteuse, la pose de cales. Il fallait positionner le tracteur, force motrice, à la distance permettant l’installation de la courroie qui va à la batteuse. Celle-ci était reliée à la presse par une autre courroie.
Les patrons de la ferme étaient levés de bon matin attendant les gars de la batteuse. Pendant que les ouvriers vers les 6 heures étaient en train de casser la croûte, le conducteur s’affairait autour de ses machines. La veille, il avait graissé pignons et rouages. Quant au loyal tracteur avant qu’il ne vrombisse et n’assourdisse la cour, il fallait le préparer. Avec un système à gaz, il fallait chauffer la boule où se trouvait l’injecteur. Et le démarrage: impressionnant. Aux « pout-pout-pout » saccadés du départ, d’abord s’exécutant en solo, succédaient, dès que les courroies étaient en action, une débauche de bruits et de sons tant divers que variés émanant des autres parties de cet ensemble orchestral si particulier . Second outil indispensable: le sifflet. Dès que le moteur tournait, le conducteur en usait d’un coup strident avertissant les ouvriers que c’était l ‘heure du battage.
Chacun rejoignait alors sa place qu’il connaissait bien. Sur le tas de gerbes, deux compagnons à l’aide d’une fourche à trois dents alimentaient la batteuse. Les gerbes étaient posées sur un tapis roulant jusqu’à l’engreneur. Cet ouvrier était chargé d’alimenter la batteuse. Il coupait les ficelles de lieuse (qu’il conservait pour les revendre) et démariait les gerbes pour les mettre dans la batteuse. A l’intérieur les gerbes étaient battues; sous l’effet des chocs et des froissements répétés, les épis bien secs vomissaient leur grains. Ils étaient alors récupérés dans de grands sacs au cul de la batteuse par deux ouvriers. Ces porteurs de sacs se protégeaient au moyen d’un sac de jute qu’il portait en pointe sur la tête. Ces sacs lourdement chargés étaient montés à l’épaule au grenier, bien à l’abri..
La paille était expulsée de la batteuse. La « tête de cheval », imposante mâchoire à dents continuellement en mouvement de bas en haut la ramenait sur le tapis de la presse. Là, les deux gars de batteuse chargée de la presse devaient être particulièrement attentionnés. C’est à cet endroit que beaucoup d’accidents furent à déplorer. L’un d’entre eux installait les aiguilles qui servaient à délimiter la taille des ballots et y faisait passer les fils de fer; l’autre était chargé d’ attacher ces fils. Tout devait être effectué quand la lourde masse de la « tête de cheval » était en l’air. Deux ouvriers, reconnaissables au foulard ou au mouchoir à carreaux qu’il portaient autour du cou récupéraient alors les ballots. Avec un crochet qu’ils plantaient vigoureusement dans les ballots de paille, ils les attiraient à eux, se retournaient et dans un grand « han » , les hissaient sur leur dos pour les porter jusqu’ au tas. Enfin, de la batteuse, au moyen de tuyaux étaient évacuées les balles, petits éléments légers et volatiles s’insinuant partout, qui étaient récupérés plus tard. Mélangées à la betterave à vaches, en absorbant l’humidité de ces raves, elles devenaient un complément d’alimentation animale.
Tous travaillaient , dans une chaleur torride au milieu d’un bruit assourdissant de machines et d’ordres hurlés, sous des odeurs de paille, de graisse et de gaz d’échappement . Les moments de silence arrivaient lorsque la courroie du tracteur sautait paralysant l’ensemble. Autre moment de silence, celui de la pause annoncée d’un coup de sifflet. Les femmes (fermière et parentèle ) servaient au pichet tiré au fût quelques canons de rouge ou de blanc de la dernière récolte. Pendant ce temps le conducteur procédait au graissage de ses machines.
A midi c’était le repas. Les femmes s’affairaient autour de ceux qui allaient permettre à l’agriculteur de ponctuer financièrement sa récolte. Des seaux d’eau étaient mis à la disposition de ces courageux travailleurs pour un petit coup de « débarbouillage ». Des grandes planches montées sur tréteaux faisaient office de table. Point de nappes. Une assiette, une fourchette, un verre c’était tout. Chacun avait son couteau .C’était l’occasion de tordre le coup à quelques vieilles « couasses » de la ferme ou quelques vieilles mères lapines bien grasses qu’ on allait accommoder en ragoût avec grande quantité de patates, naviots, choux et carottes qui baigneront dans le jus. Parfois on tuait le cochon lorsque les travaux duraient plusieurs jours. Force quantité de vin était bue apportant, le croyait-on du moins, le courage nécessaire pour le travail restant. Au bout d’une heure le conducteur retournait préparer ses machines pendant que les ouvriers buvaient le café suivi d’un coup de marc de raisin . Dehors la machine se remettait en route. Un coup de sifflet; on repliait alors son couteau, le glissait au fond de la poche de son bleu et repartait pour un long après-midi de travail. On faisait alors douze heures de travail par jour ponctuées de deux heures de repos. Des rudes journées.
Le battage terminé, le matériel rangé on tentait d ‘oublier sa peine et sa fatigue; On parlait peu du travail accompli qui était toujours le même. On pensait déjà au lendemain, au prochain cultivateur chez qui on allait battre; on préférait s’ attarder plutôt sur l’ accueil, sur ce qu’ on y mangerait et sur la capacité et la générosité de ce dernier à servir à boire. C’était bien là les seuls bons moments d’un fichu métier.
Michel Fauvin